Si certains élus de grandes sociétés, comme Castorama ou PSA Retail, suivent déjà les négociations sur le passage du CSE de leur entreprise, de nombreux représentants du personnel rencontrés au salonsCE de Lille sont partagés entre crainte et attentisme.
"Nous sommes dans l'inquiétude", résume Philippe Hildevert, croisé sur le stand de la CFTC au salonsCE de Lille. Le secrétaire du CE de Castorama à Bondues (Nord) évoque bien sûr le plan social lancé par l'enseigne. Ce PSE vise 900 suppressions de postes en France, où Castorama emploie 13 000 salariés, le siège, situé dans la région à Templemars, près de Lille (Nord), devant être très touché dans les services support. Mais l'inquiétude dont parle ce représentant du personnel concerne aussi le passage au comité social et économique (CSE), l'instance qui doit fusionner les CE, CHSCT et DP dans toutes les entreprises d'ici fin 2019.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Les négociations ont d'ailleurs débuté chez Castorama, l'enseigne souhaitant organiser des élections en janvier 2019. "La direction a envie de récupérer des billes au passage. Quand on voit comment ils se saisissent de toutes les possibilités des ordonnances", lâche l'élu. Ce dernier a bien remarqué comment sa direction procédait déjà à des "tests" ces derniers temps.
Quel type de tests ? "Par exemple, ils essaient de regrouper des réunions, pour voir comment ça marche et pour observer nos réactions", répond Philippe Hildevert. Et ce dernier de s'interroger sur les conséquences de la fusion quant aux candidatures : "Chaque élu s'investit à sa façon dans un mandat. L'un veut faire délégué du personnel, l'autre ne veut faire que du social, etc. Comment ça va se passer si tout le monde doit tout faire ?"
C'est un signe, à la fois de l'inquiétude de nombreux élus mais aussi de leur besoin de s'informer sur ce qui les attend : sur le stand de la CFTC, la brochure d'information sur le CSE "s'arrache", observe Onno Ypma, le militant qui tient le stand. "Beaucoup d'élus viennent s'informer, tout ça est très récent pour eux. J'entends pas mal de monde dire que leurs mandats ont été prorogés", nous rapporte-t-il.
Sur le stand du comité régional CGT, Philippe Dukkiewicz confie avoir très peu de retours sur des négociations d'entreprise déjà lancées dans la région sur le CSE. "J'ai l'impression que les grandes entreprises se regardent beaucoup en ce moment avant d'adopter leur stratégie : vont-elles mettre un peu d'huile dans le CSE ou vont-elles y aller franco ?" Le militant CGT souhaiterait que ce type de négociations permette de "retrouver une unité syndicale, car la défense des salariés, c'est notre objectif commun". Dans son entreprise, la Macif, où il est élu CHSCT (l'établissement Nord-Est compte déjà 1 seul CE et 1 seul CHSCT pour 1 600 salariés), les discussions sur le sujet commencent à peine : "Les élections sont prévues en juin 2018 mais nous aurons sans doute une prorogation des mandats". L'entreprise doit d'abord finaliser son nouveau contrat social qui vise à augmenter le temps de travail de 31,30 heures hebdomadaires à 35 heures, un effort compensé par une augmentation salariale de 8%, insuffisante à ses yeux.

Mais toutes les entreprises ne veulent pas temporiser ou se donner du temps en vue du CSE. Un élu CFE-CGC de PSA Retail, la filiale distribution du constructeur (4 200 salariés), estime que sa direction veut aller vite, d'où l'ouverture de négociations en vue d'un renouvellement électoral avant 2019.
"Nous cherchons à obtenir des représentants de proximité et à garder des moyens pour la commission santé, sécurité et conditions de travail", explique l'élu. Mais beaucoup de représentants du personnel n'en sont pas là. Les uns ont connu des élections récentes : ceux-là pensent pourvoir voir venir, comme Marc Patigniez, de FO : "Chez Manpower, nous venons d'avoir des élections –avec une très forte abstention des intérimaires- et comme cela coûte cher, nous n'en aurons pas d'autres avant fin 2019".
Les autres n'ont pas encore une idée claire de ce qui les attend et se partagent entre crainte et attentisme (voir aussi notre vidéo ci-dessus avec les interview d'élus). "Nous attendons la date des élections. Nous craignons de nous retrouver avec moins d'élus et moins d'heures de délégation et donc de nous retrouver face à trop de travail pour les élus restants. En plus chez nous, il y a 80 femmes pour 30 hommes. Il va nous falloir trouver des candidats masculins pour respecter la parité", nous explique Lisbeth Carpentier, élue FO de Carrefour à Hazebrouck (Nord).
La perspective du changement, même avec le risque d'une baisse des moyens, ce n'est pas ce qui va arrêter Amandine, DS CGT des vêtements Columbia (96 salariés) : "Ni les ordonnances ni le CSE ne vont me faire renoncer à être élue. Mais je m'inquiète pour notre capacité à agir. Je travaille dans les bureaux. Comment vais-je pouvoir m'occuper aussi des questions de conditions de travail dans l'entrepôt ? Ce ne sera pas facile".
Le temps, c'est ce dont les élus d'APF (association des paralysés de France, 160 salariés à Villeneuve-d'Ascq, dans le Nord) redoutent de manquer en passant au CSE, sans doute fin 2019, car ils ont eu des élections en octobre dernier. Mais leur connaissance du CSE est encore très floue. Si leur direction ne négocie pas des dispositions plus avantageuses que le décret sur les moyens du comité social et économique, ils devraient se retrouver avec 8 élus au CSE, alors qu'ils sont actuellement 5 titulaires au CE et 4 DP, 3 élus cumulant cependant CE et DP.

Pour d'autres élus encore, le CSE représentera une nouvelle intégration des IRP alors qu'ils sont déjà passés d'instances séparées en délégation unique du personnel (DUP) regroupant toutes les IRP.
C'est le cas d'Aurélie Camus, secrétaire de la DUP du Centre biologique, un laboratoire d'analyses de Calais (Pas-de-Calais) qui emploie 97 salariés. "Nous avons été longtemps sous la barre des 50 salariés. Nous avons été pendant 6 ans en CE. Puis, en mars 2017, nous sommes passés à la DUP", retrace la secrétaire. Cette dernière juge que les réunions de la DUP, où sont examinés successivement les thèmes relevant du CHSCT (les problèmes de conditions de travail sont cruciales pour le personnel dans ce secteur), ceux du CE puis les DP, sont parfois trop longues, "avec 4 à 5 heures".
A cet égard, le passage au CSE ne devrait rien arranger. Chez ces élus qui prennent leurs 19 heures de crédit mensuel de délégation, la crainte du passage au CSE a également trait au manque de candidats, sachant qu'ils ne sont actuellement que 4 titulaires sans suppléant, après avoir été seulement 2 au CE. Avec le CSE, ils devraient être 5 titulaires. Un cas de figure paradoxal qui pourrait se retrouver dans certaines PME : le CSE pourrait compter un nombre total de personnes occupant des mandats certes moins important qu'auparavant, mais dans un mouvement de baisse moins fort que ce qu'on pourrait imaginer théoriquement, du fait essentiellement du manque de candidats et du cumul des mandats qui existaient dans les instances antérieures. Comme si, en quelque sorte, la désaffection des salariés pour les mandats d'élus du personnel, dont on sait pourtant qu'elle s'explique pour partie par la crainte de discriminations, justifiait une représentation regroupée et moins étendue...
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